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islam laïque
14 décembre 2006

L'islam doit rompre avec sa fascination du politique

Diapositive1
un islam trop souvent dominé par le politique



L'islam doit rompre

avec sa fascination du politique

Michel RENARD (novembre 2001) *


Après le 11 septembre, la question du rapport au politique se pose en termes redoutables pour un croyantimages_1 musulman. La filiation idéologique du terrorisme de type Ben Laden avec le "fondamentalisme" et l'islam politique, est établie même si ces deux références ne conduisent pas automatiquement à l'extermination programmée des innocents. Que faut-il donc réformer de la théologie musulmane pour creuser un clivage étanche face à ces dérives ?


À la base, les Frères Musulmans
Les idées selon lesquelles la totalité des sociétés vivent en état d'ignorance impie (jâhiliyya), qu'elles sont gouvernées par des tyrans (tâghût) et qu'il faut les renverser par le jihâd pour leur substituer un Étathassan_al_bann__1 islamique, forment la matrice de cet islam politique. Les égyptiens Hassan al-Bannâ [photo], fondateur des Frères Musulmans en 1927, et Sayyid Qutb, relayé par le pakistanais Mawdûdî, ont formulé une conception idéologisée d'un islam identitaire et englobant. Selon ces auteurs, son triomphe passe par la voie politique dans laquelle l'homme est l'instrument de la "souveraineté de Dieu", et débouche sur l'imposition de la Loi divine (sharî‘a) instaurant une société purifiée.

L'islam politique de Hassan al-Bannâ
Hassan al-Bannâ n'est pas un auteur oublié. En France, aujourd'hui, de grandes organisations musulmanes albannase réclament de lui, et un orateur comme Tariq Ramadan en est le thuriféraire habile auprès d'un public de jeunes musulmans. Or, il faut rappeler ses positions pour mesurer leur écart avec un islam qui, sans hypocrisie, accepterait la laïcité : "L'islam est à la fois religion et pouvoir, adoration et commandement. Coran et épée unis de manière indéfectible. (...) Dire que la religion est une chose et la politique en est une autre, est une prétention que nous combattons par tous les moyens. (...) L'islam auquel croient les Frères musulmans fait du pouvoir politique l'un de ses piliers... Dans nos livres de droit musulman, le pouvoir politique est un article de foi et un tronc et non une élaboration juridique et une branche. (...) Pensez-vous que le musulman qui accepte la situation présente, qui se consacre à l'adoration, et laisse le monde et la politique aux impuissants, aux criminels, aux étrangers et aux impérialistes peut être considéré comme musulman ? Non, il ne le peut pas. Il n'est pas musulman. Car l'islam authentique est à la fois djihad et action, religion et État." (1)


Réaffirmer l'islam religion
La trajectoire historique de l'islam politique a pris fin dans les tours du World Trade Center. La conscience musulmane doit se ressourcer dans une théologie issue de ses meilleures traditions pour réaffirmer un islam religion. Quelques pistes de réforme :

1) Recentrer la religion sur la verticalité du rapport à Dieu. L'islam est d'abord une religion de salut pour laquelle "nulle âme ne portera le fardeau d'une autre" (Coran). C'est seul que le croyant se présentera devant le Seigneur. Dans le triptyque Foi (dogme et croyances), Loi (norme) et Voie (spiritualité), il importe de reconsidérer désormais la foi et le cheminement spirituel délaissés au profit d'une obsession de la norme.

mihrab_sheikhlotfollah
recentrer la religion sur la verticalité du rapport à Dieu
mihrab de la mosquée du Cheikh Lotfollah à Ispahan (Iran)

2) Réhabiliter les thèses de la théologie musulmane qui permettent l'évolution. Par exemple, la thèse du Coran créé, soutenu par le courant mutazilite contre celle du Coran incréé (qui n'est pas une obligation de foi), réinscrit le Texte dans l'histoire et autorise une lecture selon ses finalités contre tout fixisme juridique. Autre exemple la thèse de la licéité originelle, formulée entre autres par le grand soufi Ibn Arabî explique que l'homme n'a pas à combler les silences de Dieu car "ce que la Loi tait n'est pas plus fortuit que ce qu'elle énonce" En conséquence domine le principe de licéité. Or, sur le politique, le Coran est muet : "l'État islamique" n'est qu'une idée humaine n'ayant aucune valeur religieuse intemporelle.

3) Rappeler la thèse musulmane d'une distinction du spirituel et du temporel exposée doctrinalement par le cheikh Ali Abderraziq en 1925. La réfutation circonstancielle de cet auteur par l'autorité religieuse d'al-Azhar n'invalide pas une argumentation solidement basée sur le Coran. Sa postérité, dans le domaine politique, pourrait être comparable à celle d'Averroès dans le domaine philosophique.
Son idée principale est que l'islam est un message de Dieu et non un système de gouvernement : "Ils ont fait de toi un roi, ô Prophète de Dieu, car ils ne reconnaissent aucune dignité plus élevée !". On pourrait lui trouver des précédents dans la pensée musulmane. Selon Hassan al-Basrî (mort en 728), qui appartenait à la catégorie des Suivants des Compagnons du Prophète, tout croyant se devait d'exprimer le jugement de sa propre conscience sur celui de ses chefs dont il réprouvait la conduite : la distinction du spirituel et du politique était ainsi stipulée.

4) Relativiser la validité théorique du califat (ou imâmat). Des auteurs incontestés ont souvent déclaré qu'il n'était pas une question de foi. Le théologien et juriste Al-Juwaynî que sa renommée a fait surnommer l'imam des Deux sanctuaires (la Mecque et Médine) écrivait au XIe siècle : "La question de l'imâmat n'est pas une des bases de la croyance". Et le grand Ghazâlî (mort en 1111) : "La question de l'imâmat ne peut pas être rangée parmi les questions importantes ou les questions rationnelles. Elle relève plutôt du fiqh et est la source de nombreux conflits". En réalité, dans le monde musulman aussi, le politique a émergé pour répondre à des nécessités très profanes, et les ulémas n'ont fait que théoriser et légitimer des pouvoirs de fait.

5) Abandonner la conception "identitaire" de l'islam, telle que la développent le mouvement fondamentaliste Tabligh ou un auteur comme Tariq Ramadan sur la base d'une imitation littéraliste du Prophète. Pour eux, l'islam est un mode de vie et la marginalité vestimentaire qu'ils prônent (voile pour les unes, barbe pour les autres...) est en réalité une stratégie de refus de l'intégration culturelle à la société, qui n'a strictement aucun fondement religieux. Elle a pour but d'habituer celui qui s'y soumet à vivre en état de dislocation mentale à l'égard de ce qui ne provient pas directement de sa "communauté" et alimente une occidentalophobie haineuse.
Or, comme le disait Soheib Bencheikh, le Prophète n'a jamais vécu comme un marginal dans son milieu. L'imiter consiste donc, d'abord, à ne pas vivre comme un marginal dans sa propre société. L'islam n'est pas une identité mais une foi, un rite, une spiritualité. Et sa théologie doit le proclamer

Michel RENARD
directeur de la revue Islam de France


1 - Cité par l'intellectuel égyptien Rifaat el-Saïd, in Contre l'intégrisme islamiste, Maisonneuve et Larose, 1994, p. 42. On trouve également ces textes de Hassan al-Bannâ dans le livre d'Olivier Carré et Michel Seurat, Les Frères Musulmans, 1928-1982, L'Harmattan, rééd. 2002.

* article envoyé à l'hebdomadaire La Vie, suite à une commande, et publié, sous une forme quelque peu réduite, en novembre 2001.

012
Le voyage nocturne du Prophète, Nezâmi, Khamseh (Les Cinq Poèmes)
Bâghbâd (Turkménistan) [et Ispahan, Iran], 1619-1624
Papier, 368 f., 29,5 x 20,5 cm
Provient de l'interprète et consul Jean-Baptiste Nicolas ; acquis par la Bibliothèque Nationale en 1877
BNF, Manuscrits orientaux, supplément persan 1029, f. 4 v°  (source)
   



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