Ma vérité sur les caricatures de Mahomet
Un musulman pieux s'en remettra à Dieu de laver l'affront
Michel RENARD
Des caricatures, parues dans un journal danois en septembre 2005, ont vilipendé l'image du prophète Mahomet (Muhammad). Des musulmans disent leur colère, d'autres sont déjà passés aux actes. D'autres encore iront, peut-être, plus loin : fatwa d'appel au meurtre, assassinat comme cela a été accompli contre le cinéaste hollandais Théo Van Gogh... Est-il légitime qu'une conscience croyante aille jusqu'à de telles extrémités ? Non. Et pour plusieurs raisons.
1) Le dénigrement du Prophète est aussi vieux que le début de son action. Le Coran mentionne souvent les outrages verbaux subis par "l'Envoyé de Dieu". Celui-ci a été traité :
- de menteur : "Ils vont jusqu'à dire : un fagot de songes ! Encore les a-t-il inventés", XXI, 5 ;
- de faussaire : "Les dénégateurs ont dit : Ce n'est là que mystification, qu'il combine en se faisant aider par un groupe d'autres gens", XXV, 4 ;
- d'apocryphe : "Vont-ils prétendre que c'est de sa part discours d'apocryphe ?", LII, 33 ;
- de fou : "votre compagnon ne s'égare ni n'est fol", LIII, 2 ;
- d'égoïste : "Il en est encore parmi eux qui te dénigrent en matière d'aumônes. S'ils en recevaient une miette, ils seraient contents ; comme ils n'en reçoivent pas, les voilà enragés", IX, 58.
2) Un musulman pieux – je ne parle pas de celui pour qui l'islam n'est qu'une "identité" ou qu'un "programme politique" – lit ces termes tous les jours, ou presque. Cela n'attente pas à sa foi. Il sait que les adversaires de l'islam, ou simplement ceux qui se questionnent sur sa vérité, peuvent recourir au vocabulaire du dénigrement. Il sait aussi que dans le Coran, la sanction contre ceux qui dénigrent le Prophète appartient à Dieu : "ne savent-ils pas que quiconque fait front à Dieu (et à Son Envoyé), conséquemment sera châtié du feu de la Géhenne où il restera pour l'éternité ?" Le musulman pieux s'en remet donc à Dieu de laver l'affront.
3) On avance, dans la polémique en cours, que l'islam "interdit" la représentation du Prophète. Sous cette forme générale, cette assertion est une contre-vérité qui est régulièrement démentie mais tout aussi régulièrement répétée. Qu'une tradition dominante dans la pensée musulmane n'use pas de telles représentations, est vraie ; et cela relève plus d'un aniconisme que d'une prohibition iconoclaste (lire l'article de Pierre Lory paru dans Discours psychanalytique 2, octobre 1989).
Mais il existe aussi toute une tradition artistique, en particulier d'origine persane et ottomane, qui a maintes fois représenté le Prophète, que cela soit avec le visage voilé et ceint de la mandorle (flamme de sacralité) ou avec des traits proprement humains. Cet héritage pictural est partie incontestable de la conscience musulmane et de sa sensibilité artistique. Un tel patrimoine relativise les discours qui prétendent interdire toute image du Prophète au nom de la foi, ou qui affirment que donner une représentation humaine du Prophète, "c'est déjà heurter la sensibilité musulmane" (laquelle ?). En réalité, il est moins question de foi que des effets de l'obscurantisme wahhabite et de sa répulsion foncière pour la culture.
4) Il est vrai que les caricatures en question n'ont pas grand chose de "culturel". Mais, eussent-elles été des chefs d'œuvre d'art graphique, la réaction aurait été la même. Pouvoir s'inscrire dans le rôle de la victime permet aux fondamentalistes de drainer autour d'eux un capital de sympathie basé sur la "défense de la oumma assiégée". Leur intolérance enferme l'image qu'ils entendent donner de l'islam entre les deux pôles de la religion maîtresse du monde à venir ou de la victime concentrant sur elle les menées occultes de forces immenses.
Il est vrai aussi que le dessin le plus incriminé (la tête de Mahomet transformée en bombe à la mèche allumée) en dit long sur le désir de mort adressé à l'islam par l'auteur de cette image. À sa décharge, on comprendra l'effroi de ceux pour qui l'islam est d'abord représenté par les exactions et crimes des "jihadistes" depuis le 11 septembre 2001 : un islam porteur de violence sanguinaire. On se retrouve dans une relation spéculaire : instinct de mort contre "culture" de mort.
5) Ce qui me gêne dans la réaction outrée de certains militants musulmans aujourd'hui, c'est justement son côté unilatéral. Ils se disent blessés dans leurs convictions. D'accord. Ils parlent de "véritable déclaration de guerre à l'islam". Bon... Mais quand un Zarqaoui égorge un captif, à genoux et les mains liées, devant une caméra qui diffuse ces images insoutenables sur internet, n'est-ce pas là une "véritable déclaration de guerre" contre un islam qualifié par ces mêmes militants de "religion de paix" ? N'est-ce pas ce genre de geste qui répand largement la "haine" contre les musulmans ? Où sont alors les communiqués de condamnations ? Où sont les rassemblements après la prière du vendredi ? Où sont les cris de colère ???
Michel Renard,
directeur de l'ex-revue Islam de France,
6 février 2006
Quelques commentaires sur ce texte
Ayant "posté" ce texte sur le forum de maghreblog.net (apparemment délesté de ses archives antérieures à octobre 2006...), il m'a été adressé quelques réponses que j'édite ici et sur lesquelles je porte à mon tour une appréciation, en toute courtoisie et sans prétendre "répliquer" en totalité à mon interlocuteur.
Oumelkheir
Cher Monsieur Michel Renard
Je vous remercie d'abord pour votre longue explication sur les nombreuses tentatives de dénigrement du message divin porté par le prophète Mohamed (çala Allah âlih wassalam), ceci est bien connu à travers l'histoire de l'Islam. Si Dieu (Allah) le signale dans le Coran, c'est bien pour nous armer contre ce genre d'attaque, armer dans le sens spirituel, intellectuel, c'est à dire de nous préparer à ce genre d'arguments négatifs ou négateurs. Le silence peut être parfois compris comme une faiblesse, et cela dépend des situations, on peut l'utiliser à bon escient comme on peut choisir parfois la revendication, le dialogue et le boycott. Et je vous rappelle que cela n'a été fait qu'après que les appels des ambassadeurs de pays musulmans au Danemark aient été rejetées, etc.... Et comme la presse danoise peut se déclarer libre, les musulmans peuvent aussi exercer leur liberté, en boycottant des produits d'un pays dont ils se sentent humiliés, après tout à chacun sa liberté. Bien sur cela n'aurait pas du en arriver à la violence, et aux incendies, ni aux appels au meurtre mais cela s'appelle un débordement, un dépassement, des dépassements qui servent les extrémistes de tous bords. L'extremisme n'étant pas propre à l'Islam je le signale.
Ceci dit votre phrase “Il est vrai que les caricatures en question n'ont pas grand chose de “culturel”. Mais, eussent-elles été des chefs d'œuvre d'art graphique, la réaction aurait été la même”. m'a fait sourire. Il se trouve que ce ne sont pas des chefs d'oeuvre à la gloire du prophète, bien au contraire, alors ne faites pas de présomption de ce qui n'est pas...
Et pour finir, lorsqu'en aout 2005, le 21 et 22 aout 2005 un colloque s'est tenu à Charm Echeikh entre un grand nombre de savants et de grands noms de l'Islam, pour qu'à la fin de cette rencontre ils fassent une déclaration commune contre le terrorisme( en excluant bien sur la résistance en général et palestinienne en particulier) on a pas vu les médias (journaux, télés, radios, d'ici ou d'ailleurs) reprendre cette déclaration et en faire un évenement médiatique important. Parce que ça l'était vraiment. Alors dire qu'on entend personne condamner, c'est faux, c'est juste que chacun entend ce qu'il veut bien entendre.
Oumelkheir — 7 février 2006
Adib
michel renard, je partage ton commentaire et je crois que suis sur la meme ligne que que toi en prenant compte des objections de oumelkhir, le problémé est complexe et ancestrale, ça ne remonte pas au 11 septembre 2001, ça ne remonte pas aux croisades, ça remonte à plus de 1400 ans!
Adib — 7 février 2006
réponse à Oumelkheir
Chère Madame Oumelkheir
Juste deux remarques. La première pour préciser une formulation. Vous écrivez :
- "Il se trouve que ce ne sont pas des chefs d'oeuvre à la gloire du prophète, bien au contraire, alors ne faites pas de présomption de ce qui n'est pas."
Il n'y a aucune présomption. J'ai dit : même si ces caricatures malveillantes avaient été, techniquement, de beaux dessins, cela n'aurait rien changé, etc. Je n'imagine pas que le journal danois aurait pu publier de "belles" représentations du Prophète, mais que ses caricatures auraient pu manifester plus de qualités artistiques qu'il n'a été.
Cela étant, les militants musulmans qui disent que "l'islam interdit de représenter le Prophète" censurent ainsi les admirables dessins et miniatures pourtant visibles dans les musées d'art islamique comme celui de Topkapi à Istanbul... Leur rejet ne vise donc pas que les caricatures mais également les réalisations des artistes musulmans...!
Deuxième remarque. Je ne vois pas à quel colloque vous faites allusion, qui se serait tenu à Charm el-Cheikh les 21 et 22 août 2005, au cours duquel des "savants et grands noms de l'Islam" ont condamné le terrorisme.
Mais j'ai quelques informations sur une réunion similaire qui s'est tenue à Amman les 3, 4 et 5 juillet 2005. L'agence suisse ATS a publié cette dépêche :
6 juillet 2005 21:06
Des oulémas interdisent les assassinats au nom de l'islam
AMMAN - Des oulémas ont interdit les assassinats au nom de l'islam, à l'issue de leur congrès à Amman. Ils ont souligné la nécessité de "respecter les opinions d'autrui dans le monde musulman".
"Nous dénonçons le principe d'accusation d'apostasie et la légalisation de l'assassinat de musulmans pour des raisons religieuses", affirment quelque 180 experts et religieux dans un communiqué au terme d'une conférence de trois jours.
Le communiqué souligne que l'unanimité est intervenue sur la base d'une fatwa (décret religieux) émise notamment par Mohammed Sayed Tantaoui, la plus haute autorité religieuse musulmane sunnite, l'ayatollah Ali Sistani, le plus prestigieux des chefs chiites en Irak, et le mufti d'Egypte cheikh Ali Joumaa, ainsi que des autorités religieuses d'Arabie saoudite, de Turquie et de Jordanie.
A l'inauguration de cette conférence, lundi, sur le thème "L'islam véritable et son rôle dans la société moderne", le roi Abdallah II de Jordanie avait condamné l'extrémisme religieux qui ternit selon lui l'image de l'islam et pressé les pays musulmans d'harmoniser les jurisprudences afin de présenter la véritable image de leur religion.
Il a relevé en particulier qu'en "Irak, au Pakistan et dans d'autres pays arabes des accusations d'apostasie sont lancées et des assassinats de musulmans sont commis au nom de l'islam".
"De telles pratiques (...) donnent des prétextes aux non musulmans pour juger l'islam selon les actes perpétrés et contribuent aux critiques acerbes de l'occident contre l'islam", en particulier depuis les attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, imputées à des extrémistes musulmans, a-t-il affirmé.
SDA-ATS
C'est une excellente initiative. Mais il faut remarquer qu'elle ne concerne que la violence et le meurtre ENTRE musulmans, et pas encore à l'égard des autres... Ceci dit, quels organismes musulmans y ont fait écho, ici en France...? La plupart des associations militantes considèrent le cheikh Tantaoui comme "vendu" à Moubarak qui est lui-même vendu aux Américains, etc... Et surtout, quelles actions concrètes de protestation contre ces pratiques ayant pour auteurs des musulmans affirmant agir au nom de l'islam, ont-elles été menées ici en France par des associations musulmanes ? Aucune.
Alors, il y a certainement une information générale insuffisante, comme vous le remarquez, sur l'initiative menée par le roi de Jordanie et par le cheikh Tantaoui. Mais il y a également une quasi censure de la part des militants musulmans qui, aujourd'hui, protestent avec véhémence contre les caricatures danoises mais n'ont, apparemment, pas "entendu" le cheikh Tantaoui l'été dernier. C'est malheureux. Car leur protestation est, évidemment, suspecte de partialité.
Michel Renard
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